La Vie Parisienne. Jacques Offenbach.

Opéra bouffe.

Bernhard-Theater Zürich.

Radio Suisse Romande, Espace 2, Magazine de la musique, fin décembre 1990.

 

 

Le contraste vous déchire le cœur: Deux productions qui ne se ressemblent sous aucun aspect. A Genève le grand corps de ballet, la frénésie, les gags, la fantaisie déchaînée de Jérôme Savary – et surtout: le grand succès, la télévision, un public enthousiasmé. Puis vous allez à Zurich. Le Bernhard-Theater se trouve dans un bâtiment annexe de l'Opernhaus. Les gens affluent, puis vous voyez qu'à l'entrée, ils se séparent de vous et que vous restez seul devant la porte du Bernhard-Theater. Les autres vont regarder "Le Baron Tzigane" à l'Opernhaus, vous êtes le seul qui s'intéresse à "La Vie Parisienne". Bizarre. Puis vous entrez dans une salle qui ressemble plutôt à un café qu'àdun théâtre. Une soixantaine de guéridons, entourés de quatre chaises, et au fond de la salle un petit podium: la scène du Bernhard-Theater. L'orchestre n'a pas de fosse, on l'a fourré dans un coin, et par manque de place, on a réduit la partition pour l'adapter à l'ensemble minuscule entassé dans son coin: 1 premier violon, 1 deuxième violon, 1 alto, 1 violoncelle, un piano, trois souffleurs. Alors vous comprenez que vous devez vous attendre à une version anémique de "La Vie Parisienne". Orchestre réduit; scène minuscule; et le public: absent. C'est pourtant vendredi soir, mais vous êtes seul à votre table, et autour de vous, c'est le vide. Une quarantaine de spectateurs est dispersée dans une salle de quelque 300 places. Alors vous commencez à avoir pitié avec les artistes avant même que le rideau ne se lève. Que vont-ils faire. Sauront-ils enthousiasmer ces spectateurs solitaires, sirotant leur flûte de Champagne avec des mines de croque-morts?

 

Puis le spectacle commence: Paris, Gare de l'Est. Deux, trois panneaux l'indiquent, mais vous ne trouvez pas de décorations qui excitent votre imagination, car vous êtes visiblement en face d'un théâtre pauvre. Bon. Le théâtre pauvre a lui aussi ses atouts. La mise en scène peut par son intelligence compenser le manque de somptuosité. Et les acteurs qui ne sont pas séparés par une fosse de leur public peuvent se sentir en intimité et donner un jeu fin et subtil pour des spectateurs avisés qui savent apprécier les détails. Mais hélas, puisque nous sommes dans un théâtre pauvre, la direction ne peut pas engager des acteurs de premier rang. Elle doit se contenter d'artistes bon marchés. Et où trouve-t-on des artistes bon marchés? Parmi les débutants et parmi les ratés. Les rôles jeunes sont donc assurés par des jeunes garçons imberbes aux gestes carrés. Et les vieux rôles sont donnés par des cabotins aux voix usées. Et bien vite vous vous rendez compte que vous ne pouvez pas exiger des miracles. Le théâtre de qualité coûte cher. Heureux les Genevois qui sont prêts à se le payer. Et ceux qui prétendent qu'on peut faire du bon théâtre avec peu d'argent, je les invite à se rendre à Zurich voir "La Vie Parisienne" au Bernhard-Theater. Mais qu'il n'oublient pas d'emporter des mouchoirs pour essuyer les larmes, tellement le spectacle est attristant.

Die Stimme der Kritik für Bümpliz und die Welt 0