König für einen Tag. Ingomar Grünauer.

Oper.

Georges Delnon. Stadttheater Luzern.

Radio Suisse Romande, Espace 2, Musimag, 29 mai 1990.

 

 

L’opéra ne dure qu’une heure et quart. C’est donc une œuvre très brève, et l’histoire qu’elle nous raconte nous est donnée en raccourci. A la place d’une action compliquée et d’une intrigue bien ficelée, elle présente un schéma simple : le schéma de la révolution ratée. Par ce schéma, l’opéra veut illustrer le paradoxe que toutes les révolutions ont tendance à se pervertir. Un peuple opprimé qui est mis en liberté s’adonne à la brutalité, la brutalité engendre la dictature, et la dictature signifie de nouveau la répression. Telle est la thèse que veut illustrer l’opéra du compositeur autrichien Ingomar Grünauer, et pour en faire un opéra, il se sert du mythe du roi Sigismond. Et voilà le début de l’opéra :

 

(Musik)

 

Nous sommes dans une tour. Sigismond est un jeune prince que son père a fait enfermer. Mais le peuple malcontent se révolte et exige que le prince soit mis en liberté et qu’il devienne roi. Il le devient, mais pour un jour seulement. Car le prince qui fraternise avec ceux qui l’ont délivré n’a pas d’autorité. Ce manque d’autorité mène à l’anarchie. Et l’anarchie se dirige contre tout pouvoir, même contre le pouvoir du prince. Voilà un extrait qui illustre comme l’harmonie entre le prince et le peuple se crée et se trouble, le tout composé en une sorte de fugue :

 

(Musik)

 

Et la révolte éclate. Mais au moment où le prince est menacé d’être pendu, l’ancien régime vient à son secours et rétablit l’ordre.

 

L’opéra se divise, en occurrence, en trois tableaux. 1er tableau : Le prince seul, enfermé dans sa tour. 2e tableau : le prince intronisé à la cour entouré du peuple. 3e tableau : le prince, de nouveau enfermé. La fin :

 

(Musik)

 

Au début et à la fin de l’opéra, Ingomar Grünauer fait entendre la même structure musicale. Une sorte de gamme qui n’évolue guère et qui signifie la stagnation. Cette stagnation est interrompue par des cris de mouettes, les voix d’un chœur invisible qui symbolise les rêves du prince Sigismond. Il rêve d’un autre continent, d’un continent où règne la liberté – et le symbole de ce continent est l’Amérique. Sigismond est donc un idéaliste qui ne tient pas compte de la réalité. Le 2e tableau a une écriture plus variée ; des allusions aux fanfares révolutionnaires sont entrecoupées de cris et d’une ligne vocale qui s’approche du Sprechgesang. Les chanteurs sont accompagnés d’un orchestre réduit à une vingtaine d’instruments qui souvent agissent en solistes. Le style de la partition est sobre, avec une tendance ascétique. Ingomar Grünauer s’approche par cela aux compositeurs marxistes allemands, notamment à Paul Dessau. Mais les rythmes sont beaucoup plus compliqués et la composition évite toute allusion au Lied avec ses mélodies bien définies et ses couplets. C’est donc une composition tout à fait libre qui, par sa liberté, fait contraste à la simplicité de l’action et à l’emprisonnement dont parle l’histoire. Ingomar Grünauer a écrit cet opéra sur commande. Et s’il n’était pas professeur à Francfort, il n’aurait pas pu accepter cette commande du théâtre de Lucerne. Car son cachet, figurez-vous, ne s’élève qu’à 10'000 francs. 10'000 francs pour 2 ans de travail, ce n’est pas une fortune. Mais le compositeur s’est vu récompensé par une production qui l’a surpris en bon. Après la première, il a confié à la presse qu’il avait entendu exactement ce qu’il avait écrit. Et pour contribuer à ce succès, la mise en scène de Georges Delnon n’en était pas pour rien. Avec des moyens très simples mais efficaces, qui correspondent à la simplicité de l’œuvre, Delnon a su créer des images impressionnantes. Je vais vous citer que deux exemples : Quand le prince est enfermé dans la tour, la tour est symbolisée par un cercle de livres ouverts. Le prince n’est donc pas seulement le prisonnier du pouvoir, il est aussi le prisonnier de son idéalisme. Le gardien qui l’observe se trouve sur un balcon élevé à 2 mètres du sol, un balcon en fer qui montre que le gardien, lui aussi, est prisonnier, prisonnier du système.

 

Puis le prince est intronisé au palais. Assis sur son trône, il descend du ciel ; vous voyez d’abord seulement le pourpre de son manteau qui s’écarte lentement autour de lui et qui forme, lui aussi, un cercle. Le cercle du pouvoir qui sépare son altesse royale du peuple. De cette manière, la mise en scène de Georges Delnon nous fait comprendre que la vraie liberté doit être acquise par l’âme, et que seul une âme délivrée peur délivrer les autres, alors qu’une liberté acquise par la force engendre la répression.

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