Der fliegende Holländer. Richard Wagner.

Oper.

David Pountney, Stefanos Lazaridis. Bregenzer Festspiele.

Radio Suisse Romande, Espace 2, Musimag, fin-juillet 1989.

 

 

Le mythe du voilier errant sur les mers; l'équipage: des hommes ni morts ni vivants. Le bateau reste maudit jusqu'à ce que le capitaine trouve une femme qui lui reste fidèle. Fidèle jusqu'à la mort. Ceci pour le mythe. Chez Wagner, vous avez d'un côté le mythe du capitaine hollandais qui erre sur les mers, "Der fliegende Holländer"; de l'autre côté vous avez l'histoire de la jeune vierge pure qui ne cesse de contempler le portrait d'un bel homme en costume antique. C'est le portrait du capitaine maudit. Et la jeune fille, chaque fois qu'elle le regarde, est éprise de pitié et de compassion. Elle est donc aussi hantée, la jeune fille – hantée par le désir de délivrer le capitaine maudit. – Telle est la situation: Deux êtres qui sont faits l'un pour l'autre, et qui ne peuvent vivre l'un sans l'autre. L'un a besoin d'être délivré, l'autre a besoin d'être la libératrice.

 

Le rapport entre deux âmes, entre le hollandais et Senta, est créé par le père de Senta qui rencontre un beau jour, tout par hasard, le hollandais, et conquis par ses richesses, l'emmène chez lui comme futur gendre. Mais au moment où la délivrance du hollandais semble imminente, un fiancé se présente. Il fait des reproches: "Senta, ne m'as-tu pas juré d'être fidèle? Si tu épouse le hollandais, tu brises ta promesse, tu me deviens infidèle." Ces propos, le hollandais les entend, et il renonce à Senta. Pour lui, Senta est une femme comme les autres, elle succombe à chaque nouveau-venu. Alors Senta, pour prouver qu'elle peut et qu'elle veut lui rester fidèle jusqu'à la mort, saute à l'eau, elle se tue; et à la fin de l'opéra, nous voyons Senta et le hollandais monter ensemble au ciel, deux âmes béates et rachetées.

 

Vous comprenez aisément que "Le Vaisseau fantôme" se prête au théâtre lacustre de Bregenz. L'opéra demande deux bateaux. Le premier acte joue au bord de la mer, le troisième dans le port. L'eau est toujours présente dans cet opéra de Wagner, et l'eau est aussi présente à Bregenz, puisque le théâtre lacustre est construit comme ilot sur le lac de Constance.

 

Mais voilà: Le lac, c'est un élément de réalité, et l'opéra, c'est de la fiction. Comment faire entrer la réalité dans la fiction? Tel était le problème du metteur en scène David Pountney.

 

Une chose est certaine: Le lac ne se laisse pas manipuler comme n'importe quel élément scénique. Si vous avez besoin d'une tempête, le lac reste calme et ne fait pas le jeu. Il a sa nature à lui et n'entre pas dans la fiction.

 

David Pountney s'est donc décidé de ne pas faire usage du lac en tant qu'élément réel. L'eau, pour lui, n'a qu'une qualité symbolique. Elle est le symbole de la vie et le symbole de l'éternité.

 

Mais alors, si l'eau est devenue symbole, vous ne pouvez plus y faire marcher des bateaux réalistes. Il faut leur donner, à eux aussi, une qualité symbolique. Et alors, à Bregenz, le vaisseau fantôme devient une maison; une maison hantée de spectres, une maison qui signifie la prison qui enferme l'âme malheureuse du hollandais. Senta par contre est couchée sur une chaise-longue qui flotte sur l'eau, comme ses pensées qui flottent dans un élément d'amour et de poésie. Et le père de Senta, à Bregenz, est devenu un homme de l'industrie, et son monde, ce sont les machines, c'est la vapeur, la technique. Et au fond de sa conception, le metteur en scène David Pountney est d'avis que Wagner s'est fait son propre portrait dans le hollandais. L'artiste et le navigateur sont au-dehors de la société, les deux voudraient être acceptés et aimés, les deux cherchent la réconciliation de leur génie avec leur époque.

 

Mais comme souvent, la réalité est une autre chose que la conception de l'artiste, et cette réalité s'impose à Bregenz d'autant plus cruellement que le théâtre lacustre est une scène tout à fait singulière.

 

Première particularité: Les dimensions mêmes du théâtre. 50 m de profondeur, 80 m de largeur, 30 m de hauteur. C'est immense comme scène; cela demande qu'on sache prendre des dispositions pour placer les masses, dispositions qui s'apprennent aux écoles militaires, mais pas dans les théâtres habituels.

 

Deuxième particularité: La distance entre la scène et les spectateurs. 100 à 150 m. Cela demande une amplification du son, amplification néfaste à toute partition, notamment à Wagner. Non seulement le caractère des voix et des instruments subit des distorsions atroces, mais la dynamique est considérablement réduite par la nécessité de couvrir le bruit de fonds au bord du lac; c’est-à-dire couvrir le bruit des motos, des autos, des bateaux, des vagues qui se manifestent autour du théâtre. Donc: pas de pianissimi à Bregenz. Et puisque la capacité des haut-parleurs est limitée en hauteur, vous n'entendez pas de fortissimos non plus.

 

Le problème de la distance est donc dur pour chaque mise en scène. Elle ne peut pas miser sur la psychologie. Impossible aussi de travailler sur le détail. L'intensité dans le jeu du chanteur se perd à travers l'espace – donc tout élément de mise en scène conventionnel est impossible à Bregenz, parce que la distance immense l'écrase.

 

Alors il faut trouver des solutions. Et la solution consiste à extérioriser le drame. Il faut l'accompagner d'action parallèles qui montrent ce que le chanteur exprime dans son chant. Mais voici un nouveau danger: Si vous extériorisez l'action, vous risquez de couvrir l'action par des effets clinquants. Il ne suffit donc pas d'extérioriser, vous devez en même temps intensifier ce que vous montrez; en un mot, vous devez trouver un langage symbolique qui soutient le chanteur dans sa solitude au milieu de la scène géante.

 

Ce principe, David Pountney l'a compris, et son décorateur, Stefanos Lazaridis, a su créer des images grandioses tout au long du drame. Il a su chatouiller l'œil sans trop se soucier du bon goût, de façon que la musique qui accompagnait les images de cette mise en scène prenait un caractère de cinémascope.

 

Mais le problème, c'est que David Pountney n'a pas su gérer les masses et les solistes dans ces images gigantesques. Là, il restait conventionnel, voire sans inspiration. À mes yeux, le travail de mise en scène n'est pas terminé. Il faudra que M. Pountney finisse son travail lors de la reprise de la producition l'année prochaine.

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