Cosi fan tutte. Wolfgang Amadeus Mozart.

Opéra.

Michael Boder, Herbert Wernicke. Theater Basel.

Radio Suisse Romande, Espace 2, Magazine de la musique, mi-décembre 1990.

 

 

Les grand compositeurs du 19e siècle, Beethoven et Wagner, détestaient cette musique; ils la trouvaient trop légère, trop frivole. Et ils s'attaquaient au fait que "Cosi fan tutte" doute de l'amour. Au lieu de parler de fidélité (comme Beethoven dans "Fidelio"), Mozart parle d'infidélité, et il montre comme chez deux couples les relations érotiques s'entrecroisent. L'amour pour Mozart est donc une chose incertaine, les sentiments sont volatiles, les promesses peu durables.

 

Pour exprimer le caractère dubitatif de cette musique, le metteur en scène Herbert Wernicke a créé un symbole qui s'accorde parfaitement à la composition de Mozart: le symbole de l'île. Cet îlot est un tout petit bout de terre ferme au milieu de l'océan. Et ce petit bout de terre ferme correspond au petit bout de certitude que donne la convention dans l'immensité de l'amour. Si deux personnes déclarent s'aimer, elles réduisent la multitude des relations imaginables, et définissent un point précis au milieu de l'océan des possibilités. Or, les deux couples qui vivent sur l'îlot que l'opéra de Bâle nous présente, font l'expérience que la certitude n'existe pas, même pas sur un îlot. Personne ne peut fixer l'amour; et à la fin de l'opéra, ils savent à quoi s'appuyer: à rien du tout. Ils ont donc appris une leçon, et l'on ne s'étonnera plus de découvrir que l'opéra de Mozart porte comme sous-titre: L'école des amants – "La scuola degli amanti".

 

Mais voilà: Une fois que la leçon est apprise, l'infidélité et l'incertitude acceptée, les amants sont mûrs, mûrs pour vraiment s'aimer. Au moment donc où ils ont reconnu que les sentiments sont volatiles et que les promesses sont peu durables, ils peuvent déclarer qu'ils veulent rester ensemble malgré tout. Cette volonté qui s'exprime malgré la déception, indique qu'ils n'ont plus rien à apprendre à l'école des amants, et ils quittent l'îlot dans une barque pour gagner la mer ouverte.

 

Ainsi Herbert Wernicke conçoit-il "Cosi fan tutte" à l'opéra de Bâle. Mais bien que les décors aient la valeur de symbole, Herbert Wernicke se méfie de toute allusion symbolique dans le jeu des chanteurs. A première vue, on aurait même tendance à croire que cette nouvelle production ne présente rien de spécial, tellement elle a l'air conventionnel. Il lui manque tout aspect provocateur, énigmatique ou spectaculaire. Au contraire, la mise en scène est claire, sans ambiguïtés, et elle suit le livret de près. Mais malgré l'évidence de toutes les données, ce jeu de l'amour et de l'infidélité est passionnant comme s'il s'agissait d'un film d'Alfred Hitchcock. Et Wernicke sait serrer la vis jusqu'au tout dernier moment, de façon que vous ne sortez de votre envoutement qu'en quittant le théâtre. Puis vous commencez à vous interroger: Comment Herbert Wernicke a-t-il pu déceler tant de passion? Quelle est sa méthode? Puis en cherchant la réponse, vous découvrez le fait banal que Wernicke a pu faire oublier à ses chanteurs qu'ils étaient chanteurs. Au lieu de les faire chanter, il les a fait vivre le drame de "Cosi fan tutte", et puisque les chanteurs ont été transformés en êtres vivants, ils nous ont fait oublier que nous assistions à un opéra qui raconte une histoire tout à fait invraisemblable.

 

Le soir de la première, la musique n'avait pas encore acquise la perfection de la mise en scène. L'orchestre symphonique de Radio Bâle était encore un peu trop sec; il lui manquait un brin de volupté et de sensualité pour faire vibrer la partition. Partition que dirigeait Michael Boder, le successeur d'Armin Jordan à l'opéra de Bâle. Son interprétation était claire et très précise, mais en même temps elle avait un je ne sais quoi de froideur qui m'a laissé un peu déçu. Mais puisque la précision était donnée, on peut s'imaginer que la production gagnera d'intensité au cours des représentations. En tout cas, le public était passionné. Passionné notamment par l'homogénéité du jeune ensemble, dont les voix allaient si bien ensemble que les Bâlois étaient ravi, et dans leur ravissement, ils ont oublié de tousser pendant toute la soirée.

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