La Traviata. Giuseppe Verdi.

Opéra.

Theater Basel.

Radio Suisse Romande, Espace 2, Magazine de la musique,
mi-avril 1991.

 

 

Cela ne vaudrait pas la peine de vous parler sur cette antenne de la 1001ème Traviata, si cette Traviata n'avait pas été créée à Bâle. Car le Théâtre de Bâle est l'un des meilleurs qui existent dans le monde allemand. Je ne suis pas le seul à le prétendre, au contraire, cette constatation fait l'unanimité parmi mes confrères. Et cette unanimité est prouvée. Car le prestige du Théâtre de Bâle se confirme depuis trois ans par les sondages du fameux périodique allemand Theater heute. Chaque année, Theater heute se renseigne auprès de 70 critiques pour savoir quel est – à leur avis – le meilleur théâtre du monde allemand. Et chaque fois, les critiques répondent que c'est Bâle. Bâle se trouve au 2e rang, après le Burgtheater de Vienne qui, par sa tradition, le nombre et la qualité de ses acteurs se trouve quasiment hors concours.

Bon, il faut savoir que ce sondage porte uniquement sur la qualité du théâtre parlé. Mais si l'on appliquait ce sondage au domaine du théâtre lyrique, le résultat se confirmerait: Bâle crée des productions qui dépassent largement la moyenne. Je viens de parler au directeur d'un opéra français qui me confirme que dans la branche, on envie Bâle pour son succès. Car les chanteurs doués sont prêts à chanter à Bâle même si les cachets y sont plus bas que dans les opéras de premier rang. Et ces artistes chantent à prix réduit pour avoir le plaisir de travailler dans une équipe qui a l'ambition de faire du travail extraordinaire. Toute production d'opéra à Bâle est donc une aventure, une aventure qui vous fait découvrir de nouveaux aspects dans des œuvres que vous aviez l'habitude de siffler par cœur.

 

Bien entendu, cette vision nouvelle des choses a un grand désavantage: Le désavantage d'agacer les spectateurs rétrogrades, et des rétrogrades, vous en trouvez même à Bâle. Mais au fil des années, ils ont appris à se taire, puisque le chœur des spectateurs enthousiastes était plus nombreux qu'eux et que les gens venaient de l'étranger pour voir ce qui se passait à Bâle.

 

Hélas, c'est une vérité bien connue que rie ne dure, sauf le provisoire. Le directeur du Théâtre de Bâle, Frank Baumbauer, qui était responsable de tout ce succès, a fait savoir qu'il n'avait pas envie de prolonger son contrat. Que son travail était trop épuisant. Que l'ambition de faire des spectacles de haute qualité ne pouvait pas se maintenir indéfiniment. Que lui et son équipe étaient épuisés. Qu'ils quitteraient Bâle d'ici deux ans.

 

Voilà. Les miracles n'ont pas tendance à durer. On a tout de suite compris à Bâle que la ville n'a ni la grandeur, ni l'infrastructure, ni l'argent pour faire concurrence à Munich, Berlin ou Vienne et qu'il fallait donc laisser partir ce directeur miraculeux.

 

La question qu'on se pose à l'instant est simplement: Qui va suivre? Quelle sera l'évolution du théâtre? Les gens commencent à manifester leur volonté, et l'une des grandes manifestations a eu lieu lors de la première de la Traviata, il y a quelques jours. Car cette Traviata est carrément sortie du cadre habituel. C'était une production sans charme, ennuyeuse, voire stupide, avec un orchestre qui manquait de concentration et d'élégance, avec des chanteurs qui chantaient faux, qui loupaient même la mesure, bref, une Traviata qui ne vaudrait pas d'être mentionnée sur cette antenne, si, par son caractère archi-conventionnel, elle n'avait pas incité les spectateurs rétrogrades à saisir l'occasion de faire une manifestation. La manifestation qu'ils avaient marre des mises en scènes modernes, insolites et provocatrices et qu'ils souhaitaient le retour du bon vieux travail conventionnel, avec des mises en scène du type pépère qui ne dérangent personne sauf les deux ou trois critiques progressistes.

 

Moi, pour ma personne, je ne suis ni conservateur ni progressiste. J'exige simplement que les artistes fassent du bon travail. Or, ce bon travail, vous le chercherez en vain à la Traviata de Bâle.

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