Ariadne auf Naxos. Richard Strauss.

Harry Rodmann. Theater Basel.

Radio Suisse Romande, Espace 2, Musimag, 23 mars 1988.

 

 

"Ariane à Naxos", cet opéra de Richard Strauss sur un texte de Hugo von Hofmannsthal nous raconte le miracle de la transformation. Ariane déplore la perte de son amant Thésée. Elle veut lui rester fidèle jusqu'à la mort. Mais cette fidélité pose un problème: Si nous voulons rester fidèles à tout notre passé, le présent sera exclu de notre vie, car le présent exige qu'on lâche le passé et qu'on s'ouvre à l'inconnu. Comment donc réconcilier le devoir pieux de la fidélité et les exigences de la vie? Hofmannsthal et Strauss nous le démontrent dans leur opéra. L'Ariane qui reste fidèle à Thésée n'est pas la même Ariane que celle qui se donne à Bacchus. L'Ariane fidèle meurt, et nous assistons à la résurrection d'une nouvelle Ariane, d'une Ariane qui se rouvre à la vie.

 

Ce mythe d'Ariane, le soir la première, on ne le retrouvait non seulement sur la scène, mais dans le climat général dans lequel se déroulait le spectacle. Car "Ariane", ce n'était pas seulement l'avant-dernière production de la saison, c'était aussi la fin de toute une époque. Pendant presque dix ans, le théâtre de Bâle était sous la direction de Horst Statkus qui maintenant prend la direction du théâtre municipal de Lucerne. Comme chez Ariane, nous assistions donc à Bâle à un phénomène de transition. Le vieux théâtre de Bâle est en train de mourir, et le nouveau théâtre est en train de se former. L'équipe présente ne sera pas reprise par le nouveau directeur qui apporte ses gens à lui. Assister à la première d"Ariane", c'était donc pour les bâlois un acte de fidélité, un témoignage de reconnaissance. Et pour ces raisons, au crépuscule d'une ère, le public et la critique locale étaient bien plus indulgents que ne le mérite la production qui certes était solide et comme-il-faut, mais qui manquait d'inspiration et de génie.

 

Sous la direction de Horst Statkus, le théâtre municipal de Bâle a développé deux types de mise en scène, et le programme d'une saison zigzaguait entre ces deux types. D'un côté, nous avions la mise en scène traditionnelle, soi-disant classique, qui respectait les indications du livret. Ce type de mise en scène renoncait à développer de nouvelles lectures, elle se bornait à répéter l'œuvre sous son aspect traditionnel et connu par tout le monde. – De l'autre côté, nous avions à Bâle la mise en scène innovatrice et originale. Ce type de mise en scène nous donnait une vue de l'œuvre tout à fait unique, une vue qui ne se réfère pas à une tradition établie. Pour comprendre ce qui se passe sur scène, le spectateur devait donc faire un effort intellectuel, effort qui n'est pas requis par la mise en scène traditionnelle. Vous pouvez vous imaginer que cet effort n'est pas au goût de chacun, et le metteur en scène qui fournissait ce type de théâtre, Jean-Claude Auvray, était, chaque fois qu'il se présentait devant le rideau, reçu par un ouragan de huées et de tumulte. Les gens qui détestaient Auvray et son style pouvaient cependant se réconcilier avec le théâtre de Bâle par la production suivante qui appliquait les lois traditionnelles. Et les ennemis du type traditionnel, eux, attendaient la prochaine mise en scène moderne. Par ce parcours de zigzag, le théâtre de Bâle arrivait à plaire à tout le monde, aux anciens aussi bien qu'aux modernes.

 

Cette fois-ci, c'était de nouveau le tour d'une mise en scène traditionnelle. Nous retrouvions donc le cadre du bourgeois gentilhomme qui veut se faire donner deux spectacles à la fois; un spectacle drôle et un spectacle sérieux. Nous trouvions sur scène la salle d'un palais de l'époque du rococo, avec les costumes et les perruques qui y conviennent. La mise en scène se chargea de bien démontrer tous les fils qui se croisent dans cet opéra, et on sentait un souci de clarté même dans les gestes des chanteurs qui expliquaient ce qu'ils avaient à dire. Nous étions donc en face d'un spectacle très facile à suivre, mais sans grandeur ni génie.

 

La direction musicale était confiée à Harry Rodmann. Ce type de Kapellmeister allemand fait du travail solide, bien organisé, mais sans inspiration. Résultat: Un orchestre qui joue apparemment sans engagement. "Ariane" est un opéra où l'orchestre peut et doit agir en soliste. Mais à ces occasions, il lui manquait de soin et de subtilité pour faire entendre une musique vivante.

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