Albert Herring. Benjamin Britten.

Oper.

François Rochaix. Stadttheater Bern.

Radio Suisse Romande, Espace 2, Musimag, 13 mars 1990.

 

 

L’histoire se situe en Angleterre, au temps de la reine Victoria, donc dans une époque d’extrême pruderie. Pour encourager les jeunes à la vertu, une dame fort sérieuse crée un prix : 20 livres d’or pour honorer la jeune personne qui n’a jamais trébuché, qui n’a jamais touché à l’alcool, jamais eu de petite amie, jamais négligé ses devoirs, et toujours obéi aux parents et aux autorités. Un jury qui se compose du pasteur, du gendarme, de la maîtresse d’école doit désigner le lauréat. Mais aucun des candidats passe. Sauf un : Albert Herring. Un jeune homme qui travaille dans le magasin de sa maman, qui ne quitte jamais ses légumes, et le soir, il ne sort pas, il ne fréquente pas, il reste chez sa maman. – Mais dès qu’Albert Herring a reçu les 20 livres d’or, il quitte le chemin de la vertu. Le soir de la cérémonie, il sort au bistro, il se saoule, il se tape une fille, il se met à la débauche.

 

Si vous avez lu Maupassant, vous reconnaîtrez dans cette histoire le cynisme de Maupassant, et en effet, le librettiste est allé puiser l’argument dans une nouvelle de Maupassant pour l’adapter à l’Angleterre. – L’opéra de Britten se repose donc sur une histoire simple qui travaille avec des types bien définis : le pasteur, le gendarme, la maîtresse d’école.

Malheureusement, le metteur en scène François Rochaix a voulu dépasser la caricature. Il voulait éviter le noir et blanc, il voulait faire vivre ses personnages, et il les a rendus flous. Nous ne sommes plus en face des caricatures que Britten a peint avec méchanceté. Nous sommes en face de bourgeois insignifiants. Et puisqu’ils sont insignifiants, ils nous ennuient.

 

Rochaix, qui trouvait que c’était trop bon marché de faire de la gravure sur bois, nous a présenté un « Albert Herring » grand luxe, en faisant de la peinture sur porcelaine. Tout est bien travaillé, les traits sont posés avec minutie, mais il manque la vivacité des couleurs et il manque la silhouette bien définie. Les décorations, les lumières, les costumes sont superbes. Mais ils sont mal-adaptés à l’œuvre. C’est comme si vous montiez un opéra bouffe d’Offenbach au Met. Le Met est superbe, et Offenbach l’est aussi. Mais les deux ne vont pas ensemble, la différence de taille est trop importante.

(Musik)

Est-ce qu’au moins la musique fait plaisir ? J’hésite à vous répondre. La partition se compose d’une douzaine d’instruments qui agissent en solistes. Pris en leur qualité de solistes, les musiciens étaient impeccables. Mais à la première, l’ensemble avait de la peine à se trouver. Les instruments étaient trop éparpillés, et ils ne s’écoutaient pas assez. Je parierais qu’ils auraient mieux joué sans chef, mais sans chef les chanteurs auraient été mal à l’aise. Il faudra donc qu’ils se trouvent, ces instruments, ce chef et ces chanteurs.

Puisque nous parlons de chanteurs, il faut que je vous avoue qu’ils ne m’ont pas fait plaisir. C’est dans leur voix que j’aurais voulu trouver le grand luxe, et non pas dans la mise en scène. Or, j’ai mis longtemps à trancher s’ils chantaient en anglais ou en allemand, tant leur diction était défaillante. Et je n’ai pas su me faire une opinion si la laideur de leurs voix était voulue ou non. En tout cas, les oreilles m’ont fait entendre une vérité bien plus âpre que l’image qui s’est présentée à mes yeux.

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